Le rituel de fin de vie en milieu de santé | se relier dans notre humanité partagée

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Par Mylène Boisvert — 1er avril 2025

Plongez au cœur des rituels de fin de vie en milieu de santé, où les soins spirituels créent des espaces de recueillement, de lien et de transformation pour les familles et les soignants.

 
Le rituel de fin de vie est sans aucun doute une spécificité du travail de l’intervenant en soins spirituels. Cette chronique a pour but de vous faire part de ce type d’intervention et de certains des trésors qui peuvent en émerger. Il va sans dire que je suis passionnée par cette pratique, qui nous relie dans notre humanité profonde. Pour moi, le rituel, qu’il soit religieux ou humaniste, est un espace vivant, sacré. Chaque fois que je suis amenée à faciliter un rituel pour une famille ou une personne en fin de vie, ma posture intérieure est d’être au service de quelque chose de plus grand que moi, que nous : être au service du Vivant. Dans mon rôle d’ISS, je considère être alors un témoin privilégié de cette expérience unique.
 
Les demandes pour un rituel de fin de vie se présentent dans différents contextes. Ce peut être pour des patients qui demandent l’aide médicale à mourir et qui souhaitent vivre leurs derniers moments en honorant les liens qui les unissent à ceux qu’ils aiment. Pour ce qui est des patients en fin de vie imminente et souvent inconscients, le rituel est alors demandé pour accompagner la famille. Ces interventions soutiennent également les équipes de soins, qui se trouvent parfois dépassées par le vécu des proches. Le rôle de l’ISS arrive donc en appui et en complémentarité des soins offerts, en proposant un espace sacré pour vivre ce qui émerge dans ce temps de vie si unique et généralement déstabilisant. Les demandes de rituels, qu’elles soient pour un dernier partage ou pour soutenir les proches, créent un lien spirituel qui transcende le temps et les mots.
 

Témoignage d’un rituel au cœur de l’instant

Je vous présente ici un exemple de ce type d’intervention. Je reçois un appel sur la garde pour intervenir auprès d’une famille dont le proche est en fin de vie imminente et dont la mort prochaine survient de manière subite. Arrivée à la chambre, une quinzaine de membres de la famille sont présents. Déjà, le nombre de personnes présentes est pour moi un élément que je réutiliserai pendant le rituel pour souligner l’importance de l’héritage que cette dame laisse dans le cœur des gens. En effet, leur présence et l’émotion exprimée témoignent en eux-mêmes des liens profonds et précieux qui ont été tissés au fil du temps avec la personne en fin de vie. Ainsi, après la présentation de mon rôle, je procède au rituel. Un espace de parole est offert aux proches pour nommer ce que leur cœur habite. Tout ce qui émerge lors de cet espace de parole peut être pour moi des éléments de sens qui me permettent de nourrir le rituel, pour refléter aux proches l’unicité du lien et les valeurs de la personne qui les quitte.
 
C’est donc pendant ce moment de parole que l’un des proches mentionne que Mme avait l’habitude de faire vivre une bénédiction à ses proches, à sa manière, en les faisant prendre par la main et remercier pour ces liens précieux. Une fois arrivé le moment de prière et de recueillement du rituel, je reprends alors cet élément symbolique, fort pour eux, en les invitant à se prendre par la main et ainsi, s’unir, à la manière de la personne aimée, dans cette épreuve. À cet instant du rituel, je ressens la force de ce lien qui unit les proches à la personne adorée. Le sentiment est difficile à décrire, étant de l’ordre de l’intuition et du ressenti. Outre l’expression d’émotions — pleurs, grands respires, certains s’étreignent —, je ressens intérieurement cette reliance dans l’épreuve, accueillant les émotions, les laissant me traverser et les remettre entre les mains du plus grand que moi.
 
Plus encore, j’avais préalablement fait choisir une pièce musicale aux proches, afin de soutenir en musique ce moment de recueillement. La chanson Halleluja, chantée par Lucy Thomas, avait été choisie. La pièce musicale, qui fait sens pour les proches et leur rappelle la personne aimée, vient jouer un rôle de soutien symbolique à l’expression du vécu en ce temps de deuil. Ainsi, accompagné en musique, chacun à tour de rôle vient poser une main sur la personne en fin de vie, la prend dans ses bras, en bref, ils offrent leurs derniers au revoir. Au terme de la musique, je clos le rituel en souhaitant bon courage ou en offrant des paroles de réconfort, paroles qui émergent en fonction de ce qui a été vécu pendant le rituel. Tour à tour, les proches sortent de la chambre, j’entends de grands soupirs et ressens une forme d’apaisement après ce moment fort en émotions. Les proches me remercient, certains expriment le bien-être ressenti à la suite de cette expérience.
 
Ainsi, le rituel, lorsque mené avec présence, ouverture et humilité, peut être un outil puissant pour créer du sens. Il permet d’amener à nos regards, par le geste, cet Amour qui nous unit. Plus encore, il permet de marquer le temps, offrir une parenthèse dans le cheminement de la vie pour marquer de ce temps qui transforme notre vie ; car avec la mort, il y a un avant, et un après1. C’est dans ce temps « hors du temps » qu’il sera question d’honorer l’héritage de la personne en fin de vie tout autant que de l’accompagner au seuil de ce passage. Je termine cette chronique avec une citation qui illustre bien cette transformation qui s’opère dans le lien avec la personne qui nous quitte. Le rituel cherche alors ici à marquer cette transformation du lien au vivant :
 

Une force d’amour
Tant que nous pouvons aimer
et nous souvenir de ce sentiment d’amour, nous pouvons mourir
sans vraiment nous en aller. L’amour que l’on a créé est là.
Les souvenirs sont là.
On continue de vivre dans le cœur de ceux qu’on a nourris et touchés de son vivant.
La mort met fin à la vie, mais pas à la relation. Mitch Albom, La dernière leçon
 

Notes

1 Crête, Stéphane. (2021). Marquer le temps. Entre profane et sacré, la recherche de nouveaux rituels, Éditions Le Jour, Montréal.
 



Mylène Boisvert est intervenante en soins spirituels pour le CHU de Québec-Université Laval depuis 2023, après avoir complété le DESS en accompagnement spirituel en milieu de santé. Auparavant, elle a effectué un baccalauréat et une maîtrise en psychosociologie, qu’elle a terminée en 2017. Ayant cumulé de nombreuses expériences en lien avec les rituels et les rites de passage, elle se passionne pour cette pratique depuis son entrée comme intervenante en soins spirituels.


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